Interview réalisé par Michael, 15 ans apprenti reporter de l'association Soley Production

Bonjour peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ?

Salut Michael, je m'appelle Marie-Sandrine BACOUL, j'ai 32 ans, je suis guyanaise. C'est moi qui ai réalisé le spot de prévention sur les mules Aller sans Retour. Avant ce film, j'ai réalisé plusieurs court-métrages en Guyane dont L'histoire des Lions et un documentaire que tu as peut-être vu à la télévision qui s'appelle Les Pépites du fleuve.

Comment devient-on réalisateur ?

Pour apprendre le métier de réalisateur on peut faire un BTS métiers de l'audiovisuel option image/réalisation. Au-delà des études ce qui compte avant tout, selon moi, c'est la pratique. J'ai commencé la réalisation avec des téléphones portables et de petits appareils numériques sans grandes valeurs...  

Pourquoi le sujet des mules ?

Pendant la phase de préparation de mon documentaire Les Pépites du fleuve tourné à Grand-Santi, j'ai rencontré un formateur, Pierre, qui donnait des cours de français aux adultes. Un soir, il m'a raconté l'histoire de son filleul. Le jeune homme âgé de 18 ans avait disparu de Saint-Laurent du jour au lendemain, laissant sa mère et le reste de sa famille dans l'angoisse. C'est après de longs mois d'enquête que Pierre a enfin retrouvé sa trace...en France. Mauvaise surprise pour tout le monde, il était incarcéré à la maison d'arrêt de Fresnes pour transport de drogue.

Personne n'avait pensé à prévenir sa mère ?

Apparemment pour les détenus majeurs les policiers ne sont pas tenus d'avertir la famille. Sa mère aurait donc pu rester encore longtemps sans avoir de nouvelles. Pierre m'a expliqué les raisons qui ont poussé son neveu à faire ce choix... 

Son histoire fut très troublante pour moi tu sais. Dans mon documentaire, d'un côté j'avais l'exemple de jeunes guyanais bourrés de talents, débordants d'énergie et d'envie et de l'autre, celui de jeunes pessimistes, résignés, tombant dans le piège de l'argent facile.

C'est donc toi qui as eu l'idée de faire ce spot sur les mules ?

J'ai écrit le scénario du spot en janvier 2018 sur un grand coup d’inspiration, sans savoir ce qu'il deviendrait vraiment. Le scénario aurait pu rester longtemps dans mon tiroir à prendre de la poussière. Ce qui m'a décidé à le réaliser c'est la peine que je ressentais lorsque j'entendais à chaque journal télévisé des affaires de mules mais aussi ma lassitude d'entendre certains jeunes parler de transporter de la drogue comme s'ils allaient faire une course au supermarché.

Tu sais, avant de travailler dans l'audiovisuel, j'étais dans le milieu de la musique. Les fantasmes autour de la drogue je les connais par cœur. Quand tu écoutes les chansons d'aujourd'hui tout le monde est dans le business. Tout le monde consomme de la drogue, tout le monde en vend pour s'en sortir et devenir riche. Mais personne ne dit la vérité. Qu’au bout c’est souvent des vies personnelles et familiales ruinées. Des addictions qui détruisent la santé pour les consommateur. Pire encore, leur mort et pour ceux qui font le trafic, la prison ou une fin violente, car les commanditaires en demandent toujours plus aux transporteurs.

Comment as-tu préparé le film ?

La première étape, la plus longue et la plus importante, a été de trouver le financement pour le faire. Pour ça, j'ai dû frapper à de nombreuses portes. Les logos que tu vois à la fin du film appartiennent à toutes les institutions qui ont participé à la production du film.

Mais il ne dure que quelques minutes, il n'a pas dû coûter cher ?

La durée ne veut rien dire dans le cinéma et puis ce qui compte c'est la qualité. J'ai écrit un scénario avec un concept précis. Je ne me serais jamais engagée à le mettre en image si on ne m'avait pas donné les moyens de le faire correctement. 

Pour cela, j'ai eu la chance de tomber sur la société de production Aldabra Films qui a su me faire bénéficier de son expérience dans la fiction. Le film devait être à la hauteur du problème qu'on soulevait. C'était pas tous les jours évident, mais ma productrice a su trouver une solution à chaque problème sans me couper dans ma créativité.

La réalisatrice : Marie-Sandrine BACOUL -  La productrice : Murielle Thierrin

Photos : Jauris Bardoux

J'ai vu beaucoup de monde sur les photos du tournage. C'était qui ?

Tous les techniciens qui ont travaillé sur le spot. Une équipe de film, c'est comme une grande famille ! Nous étions plus d'une dizaine à Saint-Laurent et une vingtaine à Paris, sans compter les jeunes figurants. C'était la première fois que je travaillais avec deux équipes différentes sur deux territoires différents en même temps. Ce tournage a demandé une grande logistique mais tout s'est très bien passé. 

Pour la partie tournée en Guyane, j'ai eu le plaisir de retrouver tous mes amis techniciens avec qui j'ai l'habitude de bosser. On a pratiquement tous commencé ensemble, sur la série Guyane de la chaîne Canal+. Aujourd'hui, c'est ensemble qu'on gravit les échelons, en fixant à chaque projet que l'on fait, la barre toujours plus haute.

En haut : l'équipe de Guyane - en bas : l'équipe de France

Photos : Samia Maquigny - Jauris Bardoux

Sur les photos, j'ai remarqué une grosse caméra, je n'en n'avais jamais vue une comme ça avant...

Pour ce spot je voulais un rendu cinématographique. C'est ce genre de caméra qu'on utilise pour les longs-métrages. C'était un rêve pour moi de pouvoir un jour tourner dans cette configuration.

Grégory Turbulier : Directeur de la Photographie du spot

Photos : Samia Maquigny

C'est vrai que la qualité des images m'ont frappé...

Je n'aurais jamais eu ce résultat si j'avais pas eu à mes côtés la bonne personne pour les faire. Pour cela j'ai fait venir en Guyane, Grégory Turbulier, un chef opérateur expérimenté qui a pu sublimer mes idées et m'aider à faire transparaître à l'image l'émotion de mes personnages.

Justement pourquoi avoir choisi ce jeune là pour occuper le premier rôle ? 

J'ai rencontré plus d'une cinquantaine de jeunes pour tous les rôles du film. Je vais te dire quelque chose, tous les ados à qui j’ai fait passer le casting, à Saint-Laurent du Maroni, avaient assez de talent pour avoir le premier rôle du film. Ça s'est joué à des détails près. Mais tu dois le savoir dans un film chaque détail compte. 

Benjamin : le rôle principal du spot

Photos : Jauris Bardoux

Benjamin : le rôle principal du spot

Photos : Jauris Bardoux

J'ai rencontré Benjamin seulement trois semaines avant le début du tournage, après avoir fait 6 mois de casting sauvage. Benjamin, c'est le genre de jeune qui peut se fondre dans la masse dans un groupe de personne, mais qui crève l'écran une fois que tu braques un objectif sur lui. En quelques jours, une complicité s'est créé entre nous. Il a vite compris l'investissement que le rôle demandait et a accepté de répéter sans relâche pour être prêt le jour-j.

Marie-Sandrine Bacoul : la réalisatrice - Benjamin : le rôle principal du spot

Photos : Jauris Bardoux

C'est quoi un casting sauvage ?

C'est quand tu repères des gens dans la rue. Pour moi, c'était le plus souvent au marché ou à la sortie des lycées. Certains professeurs avec qui j'ai pu entrer en contact m'ont permis de rencontrer leurs élèves. Guillaume Patra, président de l'association Seke Deng m'a aussi beaucoup aidé dans la recherche de jeunes. C'est grâce à lui que j'ai pu rencontrer Georgestine (rôle de la mère) et Rifaldo (rôle du cousin recruteur). Pour moi les deux autres révélations de ce spot. 


Marie-Sandrine Bacoul : la réalisatrice - Georgestine : le rôle de la mère

Photos : Jauris Bardoux

Mais ces personnes n'ont jamais fait de cinéma ?

Travailler avec des jeunes ou des adultes qui n'ont aucune expérience dans le cinéma ne m'a jamais fait peur. Au contraire, j'y vois une formidable opportunité de découvrir des talents ou de susciter des vocations dans les métiers de l'audiovisuel. J'aimerais bien qu'il y ait demain en Guyane des jeunes capables de gérer la même caméra que Gregory.

Comment as-tu préparé les autres rôles celui de la maman et du recruteur sur le terrain de foot ?

La particularité du film, si tu l'as bien regardé, c'est qu'il n'y a pas de dialogues. Pendant les répétitions, on a surtout travaillé les jeux de regard. Je filmais toutes les répétitions pour que les acteurs puissent se voir et se rendre compte de leur jeu. Transmettre des émotions, juste avec le regard, c'était ça le challenge.

Parle-nous de la musique du film ?

L'artiste Patko : Compositeur de la musique du film

Photo : Kévin Buret

C'est le chanteur et compositeur guyanais Patko qui s'en est chargé. Il l'a composé en une journée et s'est beaucoup appliqué aux différentes retouches pour que le son soit parfait. C'est un homme de défi qui n'a pas froid aux yeux. 

Au delà de ses compositions musicales je suis fan de ses chansons. Son album Maroon est pour moi un classique dans le reggae. Je te conseille d'aller l'écouter sur Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCjHr1-VpMUyjDlbR5eZoF7w

Et qui a fait le montage ?

Karl Lerus. Encore une valeur sûre du paysage audiovisuel guyanais. Je travaille avec lui depuis pratiquement mes débuts et ce n'est pas prêt de s'arrêter. C'est un véritable coup de coeur artistique et amical. Tu sais, ce n'est pas toujours facile de monter ce qu'on a soit même tourné. Karl a cette patience dont je peux parfois manquer avec le stress. J'encourage les jeunes qui s'intéressent au montage à se faire former. On peut commencer en autodidacte mais il y a des codes à avoir. On ne monte pas de la même manière une publicité, une fiction et un documentaire.

Je conseille l'Institut National de l'Audiovisuel, c'est là où j'ai étais formé : 

https://www.ina-expert.com/enseignement-superieur/bts-des-metiers-de-l-audiovisuel.html

Karl Lerus : Chef monteur

Photos : Ronan Liétar

Que réponds-tu aux personnes qui disent que ce film ne changera rien au problème des mules en Guyane.

Je suis sûre que tu as déjà vu à la télévision ou sur internet des spots pour la prévention routière ? Est-ce que ces films empêchent tous les délits de se faire ? Non. Pour moi, le plus grave c'est de ne rien faire quand on a le pouvoir de faire quelque chose.

Mon spot ne s'adresse pas aux adultes mais aux jeunes comme toi qui pourraient un jour avoir affaire à des recruteurs ou qui pourraient d'eux-mêmes être tentés de passer à l'acte, pour tout un tas de raison. Je ne sais pas si le film pourra empêcher tous les jeunes de commettre cet acte mais si dans le lot, il arrive à en raisonner au moins un, alors ce sera toujours une victoire pour moi.

Mon oncle m'a dit que le problème ce n'est pas les mules mais ceux qui consomment la cocaïne notamment en Métropole...

Ce n'est pas l'un ou l'autre, c'est tout le monde. Je n'ai aucune sympathie pour les consommateurs de drogues quel qu’ils soient, crois-moi. C'est toute la chaîne qu'il faudrait rompre. Tu sais, le problème des mules est trop vaste pour qu'il tienne dans un seul film. Je fais confiance aux institutions qui ont financé Aller sans retour pour nous aider à en produire d'autres, écrits par d'autres réalisateurs qui aborderont différents angles de cette triste réalité. S'il faut aller jusqu'aux consommateurs alors on le fera. C'est un problème qui touche toutes les communautés, tous les âges, toutes les classes sociales. Des scénarios, on peut en écrire plein. J'ai juste pris l'initiative de commencer par celui là...

Justement en tournant ton spot à Saint-Laurent n'avais-tu pas peur de donner une mauvaise réputation à la population ?

En réalisant ce premier spot sur les mules, je savais que je m'exposerai à la critique. C'est un sujet délicat. Je pense avoir fait le travail qu'il faut pour que tous les jeunes de la Guyane se reconnaissent dans le spot. Puisque l'histoire de mon film se passait à Saint-Laurent il me paraissait donc logique qu'on y voit ses jeunes habitants figurants dedans. Cela aurait été dommage de donner cette chance de faire du cinéma à d’autres jeunes que ceux issue de la commune.

Il y a une urgence dans la commune de Saint-Laurent qui est indéniable. Il y a aussi un vivier de jeunes talents qu'à titre personnel, j'ai de la peine de voir sombrer. Ceux qui connaissent mon travail, ceux qui ont vu mon dernier documentaire ne pourront que me croire.

Où peut-on voir le spot ?

Sur Youtube, sur la chaine instagram officielle du spot : @allersansretour_lefilm. Avant le confinement il est passé dans les cinémas de Guyane. Nous espérons aussi le faire passer à la télévision. 

La ville de la Cayenne l'a programmé sur son panneau interactif d'informations. 

Pour l'année scolaire 2020-2021 nous prévoyons de faire avec, le tour des collèges, pour sensibiliser au maximum les jeunes sur ce fléau. 

Un dernier mot pour les jeunes qui te lisent ?

Bâtissez votre avenir sur des fondations solides pas sur de la poudre.

MSB